« Soumission » de Houellebecq

Parce que le mot Islam a pour traduction soumission en français

Mohammed et l'ange GabrielMalgré tout le tapage autour de ce livre, sorti comme par un fait exprès en plein cœur des événements tragiques du 11 janvier 2015 ; malgré la somme appréciable des interviews, vidéos, chroniques et critiques qui propulsèrent en tornade sur nos écrans le prix Goncourt 2010, l’auteur lui-même sembla alors dépassé par son succès.

Chronique d’un déclin généralisé

L’on peut essayer de présenter « Soumission » certes, de manière latérale, de façon plus personnelle que ce que nous avons lu ou vu. Il suffit de lire, stylo en main, ce livre bien écrit, souvent plein d’humour ; proche de la réalité quotidienne ; distant quand il le faut ; un peu à la manière des contes voltairiens, voire à la manière incisive d’un Céline revisité aujourd’hui.

Nous pouvons passer sous silence les quelques pages salaces où s’étale un érotisme convenu, caricatural, sous le patronage explicite d’ « Histoire d’Ô », laquelle arrive en fin de parcours pour évoquer la soumission de la femme à l’homme analogue à celle du musulman à sa religion. Pour trouver un sens, malgré tout, à ces pages, on peut tenter d’y déceler la quête un peu tordue d’un amour stable, sécurisant, que le narrateur d’ailleurs ne trouve pas. L’intériorité affective du héros est un désert, entrecoupé d’un peu de vie frémissante. La littérature nous l’a tant de fois décrite !

Quand l’improbable devient réel

Pour ceux qui ne savent pas encore le thème du roman de Houellebecq, résumons : l’histoire se passe en 2022 ; une fiction donc. Prophétique ? nous verrons. Après l’échec massif du double quinquennat de François Hollande, les partis politiques connus aujourd’hui (UMP ; PS ; UDI) s’unissent contre la candidature du Front National, et préfèrent au terme de l’élection présidentielle, élire Mohamed Ben Abbes, un musulman modéré, flanqué à Matignon d’un François Bayrou, premier ministre cruellement caricaturé d’un bout à l’autre du livre. Ben Abbes, un homme sage et intelligent, s’appuie sur le Parti musulman (inventé par l’auteur). Ainsi s’installe à la tête de la France un Islam tranquillement conquérant, grignotant petit à petit les structures universitaires mais aussi politiques, et plus banalement quotidiennes, d’une République exsangue. Les « valeurs » de l’Occident se sont effondrées ; la culture est moribonde ; le christianisme lui-même, devenu incapable d’assumer la transcendance de son message, effacé des esprits. Dans le vide s’engouffre un Islam attirant, s’immisçant dans les rues de la capitale avec ses femmes voilées et sa police de la vertu. C’est là, à travers ces quelques médiations, que se joue l’Islam d’Houellebecq. S’il ne cite ni l’exigence des cinq prières ni d’autres traits distinctifs de cette religion, le narrateur finit par se convertir à l’Islam, sans crise particulière, à travers le piège de la polygamie, très simplement pour le plaisir individuel et l’attrait d’une vie ordinaire. Michel HouellebecqIl sera désormais professeur soumis, largement récompensé sur le plan financier par quelque émir du Qatar misant sur la puissance prometteuse des intellectuels français. À partir de ce nœud romanesque, l’on a fait de Houellebecq un fin connaisseur de l’Islam. Certes, il s’est un peu documenté, a lu quelques sourates du Coran ; il est doué d’une imagination pétillante. Mais enfin ! Chez lui nulle revendication de politologie. Un mois après la parution du livre, de bons intellectuels s’intéressent à cette improbable élection : et si l’auteur nous disait la réalité de notre société ? Question récurrente, y compris dans la tribune de Fabrice Hadjadj du 11 Février 2015. L’auteur, un peu étourdi par ces déclarations, apparaît, le visage sombre et décavé. « Un roman », dit-il pour se justifier, « n’a jamais changé une vie ».

Nous sommes, de fait, dans un roman, où l’on ne confond pas le narrateur et l’auteur. C’est l’exigence minimale.

Cela signifie que derrière le noyau dont nous avons parlé, tout l’imaginaire de l’auteur se donne libre cours. « La littérature », dit-il au début, « c’est la présence », présence du narrateur dans une communication réelle avec le lecteur. Le roman de Houellebecq pourrait en être l’illustration.

La littérature, fil conducteur du récit

À maintes reprises, François, le narrateur, professeur de littérature à la Sorbonne, fait naître en nous le désir de lire ou de relire Huysmans, son auteur fétiche, sur qui il a travaillé une dizaine d’années pour obtenir une mention universitaire, digne de cet effort inconnu des non-thésards. Huysmans, « Là-bas », « A rebours », avide de noirceur, et tardivement converti au catholicisme, est vraiment son guide. Ses parcours : Rocamadour, l’abbaye de Ligugé, auraient pu convaincre le disciple de suivre l’itinéraire du maître. Mais c’est pourtant l’Islam qui finit par le conduire, sans conviction, jusqu’à la profession de foi, dans la grande mosquée de Paris.

Plus tard, on entendra sans doute dans les villages les incantations du muezzin remplaçant les cloches désormais muettes de nos églises.

Ouverture

Michel Houellebecq - Soumission

  • Alors « Soumission » : humour gratuit pour intellectuels en quête de nouveauté littéraire ?
  • Provocation ordinaire de la part d’un auteur très lucide sur le quotidien de notre société ?
  • Approche prophétique de lendemains qui ne chantent pas ?
  • En tout cas, pour les personnes déjà déprimées par le cours du monde : s’abstenir de cette lecture !
  • Pour les philosophes et autres penseurs : réfléchir à ses thèses sous-jacentes !
  • Pour les politiques et autres hommes d’action : réagir immédiatement pour relever le défi qui nous est lancé !

Annick Rousseau