Coup d’œil… sur l’image du Christ de Sr Faustine
La représentation aujourd’hui très connue du Christ d’Hélène Kowalska (1905-1938), en religion sœur Faustine, nous vient de Pologne, trois siècles donc après la diffusion du culte du Sacré-Cœur, dont Marguerite-Marie fut l’instrument privilégié. Ce tableau pourrait n’être qu’une image pieuse parmi tant d’autres (esquisses, gravures, peintures, sculptures) si son élaboration, longuement décrite dans le « Petit journal » de Sœur Faustine, n’était pas aussi étrange, insolite et sans doute unique dans l’histoire, pour diffuser le message de la miséricorde divine.
I. Du « Petit journal » au tableau de Vilnius
Sœur Faustine, canonisée en 2000 par St. Jean-Paul II, appartient à l’ordre de Notre-Dame de la miséricorde. Elle mène une vie apparemment banale, faite de tâches ménagères pénibles, de quelques responsabilités éducatives, d’offices réguliers et de prière. Ce qu’elle livre de son âme (elle l’écrit à la demande expresse du Christ) est beaucoup plus complexe. Au fil des pages (260 !), en six feuillets, se révèle une personnalité mystique comme il y en eut peu. En ces lignes où le voile qui sépare l’humain du surnaturel est bien ténu, parfois entrouvert, s’étale au grand jour l’intimité d’une vie scandée de rencontres personnelles avec Jésus, de larmes, de consolations, de douleurs et de désespoir. La lecture du petit journal (PJ), seul trésor d’une vie austère, est dépouillée ; c’est d’une certaine façon l’intrusion de la curiosité dans le secret d’un dialogue qui ne nous appartient pas. Faustine ne nous ressemble guère, ses réactions étonnent plus d’une fois. Sous sa plume le mot « miséricorde » apparaît plusieurs fois par paragraphe ; au terme des six feuillets de son écriture, il devient un véritable leitmotiv, dans sa prose, sa poésie, dressées à la Vierge Marie, à tous les saints et bien sûr, de manière privilégiée, au Christ qui a déterminé le cours entier de sa brève vie (33ans).
Nous laisserons aux psychiatres et autres psychanalystes, aux esprits rationalistes, aux critiques de tous horizons, le soin de traiter Faustine comme ils le font habituellement : « hystérique », « folle » sans doute comme Catherine de Sienne, Thérèse d’Avila, ou Jean de la Croix. Ses sœurs en religion avaient d’ailleurs depuis longtemps posé ce diagnostic ! Ce fut une des épreuves les plus douloureuses qu’elle eut à subir.
Ce qui nous importe, puisque l’image est désormais devant nos yeux, c’est de décrypter le plus simplement possible son histoire ou, nous le verrons, sa double histoire. Nous sommes en février 1931. Le Christ se manifeste à Faustine ; osons parler d’une apparition. Et voici qu’il lui adresse une improbable demande :
47. Un soir, dans ma cellule, je vis Jésus vêtu d’une tunique blanche, une main levée pour bénir, la seconde touchait son vêtement sur la poitrine. De la tunique entr’ouverte sortaient deux grands rayons, l’un rouge, l’autre pâle. Je fixais le Seigneur en silence, l’âme saisie de crainte, mais aussi d’une grande joie. Après un moment, Jésus me dit : « Peins un tableau de ce que tu vois, de ce que tu vois avec l’inscription – Jésus, j’ai confiance en vous ! – Je désire qu’on honore cette image, d’abord dans votre chapelle, puis dans le monde entier. »
48. Je promets que l’âme qui honorera cette image, ne sera pas perdue. Je lui promets aussi la victoire sur ses ennemis dès ici-bas, et, spécialement à l’heure de la mort. Moi-même je la défendrai comme Ma propre gloire. »
Faustine expose ses émotions, de joies et de craintes mêlées. Elle est aux prises avec une inquiétude qui l’ interroge d’autant plus qu’elle manque de détails précis : peindre au pinceau les rayons rouge et pâle de sa vision, faire une image qui doit être connue dans le monde entier ; inscrire une invocation aux pieds du Christ représenté : « Jésus, j’ai confiance en toi ». Comment faire ? Dans de nombreux paragraphes du Petit journal, l’interprétation du tableau à peindre demeure scellée, c’est Jésus lui-même qui la dévoilera peu à peu (PJ §.299). « Ces deux rayons indiquent le sang et l’eau. Le rayon pâle signifie l’eau qui purifie les âmes ; le rayon rouge, le sang qui est la vie des âmes. Ces deux rayons jaillirent des entrailles de ma miséricorde, alors que mon cœur agonisant sur la croix fut ouvert par la lance. »
Dons du baptême et de l’eucharistie, du pardon par la main droite qui bénit ; continuité sacramentelle de l’incarnation du Dieu fait homme pour sauver le monde. C’est le noyau fondamental de la miséricorde de Dieu autour duquel se rassemblent d’innombrables développements. Tout vient de la tendresse de Dieu : de la vie comme don inépuisable jusqu’à la moindre fleur créée pour rendre l’existence moins dure (PJ. Feuillet 6). Toute la joie de ce message, reflet visible de la joie de l’Évangile, n’est reçue que par la foi inconditionnelle en celui qui le propose : la miséricorde est répandue à la mesure de la confiance que nous lui accordons.
Comme la miséricorde n’est pas sans la providence, toutes les demandes du Christ furent réalisées, avec son intervention discrète. Grâce au bienheureux Père Sopocko, son directeur spirituel à Vilnius, le tableau fut peint par un artiste, Kasimirovski, entre 1931 et 1934. Faustine en suivit l’élaboration de près. Très vite, de nombreuses images commencèrent à circuler par le monde entier, apportant aux pécheurs les plus endurcis l’assurance de la proximité de Dieu.
La passion du Christ peut effrayer les cœurs ; la Sainte Hostie dépasser leur compréhension : la présence familière d’un être lumineux s’avançant sur le fond sombre du monde attire le regard, engage qui le voit à le suivre.
2. Le tableau de Cracovie
De son vivant, Ste. Faustine ne connut d’autres représentations du Christ miséricordieux que celle dont nous avons parlé. Le tableau de Vilnius que l’on voit encore aujourd’hui, vénéré jour et nuit par des centaines de pèlerins, porte en lui le sceau de son origine inspirée. D’où vient donc ce Christ de miséricorde, apparemment identique au premier, en réalité bien différent, aujourd’hui diffusé un peu partout ? Certes, des rayons rouges et blancs jaillissent bien de son cœur, disposées en éventail sur sa longue tunique blanche, ce qui n’est pas banal. Pourtant, ce n’est pas le même. Une copie avec des variations sensibles ? C’est la première bonne interprétation qui vient à l’esprit.
En 1943, Hilna, peintre peu connu, propose aux sœurs de la Miséricorde de Marie, en ex-voto pour une grâce familiale, une peinture inspirée de celle de Vilnius. Nous sommes alors à Cracovie. C’est la « sainte effigie », comme aime à l’appeler Jean-Paul II, devenue plus célèbre et plus répandue que son modèle original.
Quelques remarques pour souligner les principales différences qui séparent les deux tableaux, quelle que soit la ferveur populaire qui entoure le second. (Documentation de la restauration du tableau original)
- Le Christ d’Hilna est comme il se donne, sans véritable profondeur charnelle, alors que Sœur Faustine est présente en filigrane dans chaque détail du tableau de Vilnius.
- Une anecdote qui nous fait sourire : Jésus, comme pour acquiescer à la représentation de Kasimirovski et donc l’authentifier, est apparu plusieurs fois à son « apôtre », non sans humour, sous les traits mêmes du tableau.
- Encore un point : la position de la main du Christ qui bénit. Discret geste de pardon dans le premier cas, vaste mouvement d’appel dans l’autre, pour vaincre toute hésitation.
Ce qui est enfin surprenant dans le tableau d’Hilna, c’est que le regard du Christ ne correspond pas à la parole bouleversante du Sauveur :
« Mon regard sur cette image est le même que celui que j’avais sur la croix (…). J’ai les yeux fermés pour ne pas m’introduire en juge dans le cœur de ceux qui me regardent » (PJ § 326). Abîme de douceur et d’humilité…
D’où notre question : pourquoi la préférence visiblement accordée au second tableau ? L’Histoire donne la réponse : le tableau de Vilnius fut soumis à de multiples péripéties qui le firent à peu près totalement disparaître de la vue des chrétiens : mauvaise conservation, disparition forcée pour le soustraire aux méfaits de la guerre. Ce n’est qu’après plusieurs restaurations qu’il finit par revenir, en 2003, sur la scène religieuse.
Annick Rousseau
2016. Année de la Miséricorde.
- À voir : Icônes du Christ miséricordieux.
- À méditer : Petit journal de Sainte Faustine, patronne des J.M.J. en Pologne.
- À écouter ici, la prière du message (musique et chant) Ô Sang et eau
Bonjour,
Il existe une image semblable en France, peinte par Anne Leblanc, suite aux messages reçus par Madeleine Aumont à Dozulé, très semblables à ceux de soeur Faustine (neuvaine de la miséricorde)
NB je vous signale la sortie de mon livre cette semaine à L’Harmattan : la justice administrative de l’Eglise catholique.
Bonne année 2017