Coup d’œil… sur un Noël tout en poésie, en suivant Marie Noël
Prologue
Aujourd’hui encore la belle œuvre littéraire de Marie Noël (1883-1967) est injustement méconnue. L’humble petite femme de province (Auxerre, sa ville), trop souvent représentée en sa vieillesse, reste malgré le temps qui passe prisonnière de préjugés tenaces. On dénonce chez elle une écriture poétique dépassée, surannée, abordant des thèmes un peu mièvres… qui plus est, le plus souvent en alexandrins ; des chansons un peu faciles contant la beauté de la nature, des oiseaux et des prés ; les âges de la vie, que la mort interrompt.
Et puis ces pages dures, vers ou prose marquées au sceau d’une vision parfois tragique du christianisme, quand l’ordre attendu de l’amour de Dieu est traversé par le glaive d’une écriture sans concession ; ce sont alors des révoltes, des sommations adressées au Dieu tout puissant. Une attitude choquante pour bien des lecteurs qui abandonnent de telles pages.
Pourtant une lecture attentive de notre poétesse, en dehors même d’une exégèse érudite que nous ne connaissons pas encore, révèle un tout autre visage de ce qu’est Marie Noël, de ce qu’elle voulut communiquer à tous ceux-là qui n’ont point de temps pour penser, connaître, réfléchir… La richesse de ses talents y pourvoit. On peut dire qu’elle réussit excellemment dans toutes les sphères de la poésie. Reste à la suivre, juste pour le temps de l’Avent et de Noël que nous vivons. Nous allons le faire en lisant le Chant de la Vierge Marie tiré du recueil Le Rosaire des joies.
« Le Chant de la Vierge Marie »
- MARIE :
Je me hâte, je prépare,
Car nous entrons en Avent,
Le trousseau de mon Enfant.
« Joseph a taillé du hêtre
Pour sa Couchette de bois ; - LES ANGES :
Les Juifs tailleront du hêtre
Pour Lui dresser une Croix.
- MARIE :
J’ai fait de beaux points d’épine
Sur Son petit bonnet rond ; - LES ANGES :
Nous avons tressé l’épine
En couronne pour Son front.
- MARIE :
J’ai là des drapeaux de toile
Pour L’emmailloter au sec ; - LES ANGES :
Nous avons un drap de toile
Pour L’ensevelir avec.
- MARIE :
Un manteau de laine rouge
Pour qu’Il ait bien chaud dehors ; - LES ANGES :
Une robe de sang rouge
Pour Lui couvrir tout le corps.
- MARIE :
Pour Ses mains, Ses pieds si tendres,
Des gants, des petits chaussons ; - LES ANGES :
Pour Ses mains, Ses pieds si tendres,
Quatre clous, quatre poinçons.
- MARIE :
La plus douce des éponges
Pour laver Son corps si pur ; - LES ANGES :
La plus dure des éponges
Pour L’abreuver de vin sur.
- MARIE :
La cuiller qui tourne, tourne,
Dans Sa soupe sur le feu ; - LES ANGES :
La lance qui tourne, tourne
Dans son Cœur. Un rude épieu.
- MARIE :
Et, pour Lui donner à boire,
Le lait tiède de mon sein ; - LES ANGES :
Et, pour Lui donner à boire,
Le fiel prêt pour l’assassin.
- MARIE :
Au bout de l’Avent nous sommes,
Tout est prêt, Il peut venir… - LES ANGES :
Tout est prêt, Tu peux venir,
Ô Jésus, sauver les hommes »
Regard sur le premier Avent
La fête de Noël ne surgit pas isolée en un point aléatoire de l’année liturgique. D’abord « nous entrons en Avent » : temps de l’espérance et de l’attente. Quelques semaines le cœur tourné vers un incroyable anniversaire : celui du Fils de Dieu lui-même venu dans notre chair. De surcroît tendu vers le temps, proche ou lointain, de son retour dans la gloire. Nous en avons vécu des Avent ! Mais l’originalité de ce poème est de faire mémoire du premier Avent, de la grande attente messianique d’Israël condensée dans la douce présence de la Vierge Marie. Humblement, en secret, elle ne se contente pas de tressaillir de joie en méditant sur le choix de Dieu envers elle, l’événement le plus important sans doute de toute l’histoire humaine. La Vierge de l’Avent pour Marie Noël est d’un réalisme saisissant. Ni mère au ventre proéminent prête à engendrer, les bras ballants ; ni femme solennelle, le chapelet à la main, entourée de tous les saints du ciel. Nous sommes convoqués jusqu’au terme du poème pour écouter le chant soutenu d’une maman attentive, cousant le trousseau d’un enfant à naître, la layette de son Dieu.
L’ouvrage de Marie
Dans les sons d’une lecture à haute voix, ou le silence d’une lecture ou d’une relecture attentive, l’on reste frappé par les paroles de la Vierge, formulées en première personne : « je me hâte (…), je prépare ». Et même si la couchette de bois vient des mains de Joseph le charpentier, l’accueil est la tâche de celle qui enfante et s’occupe des soucis quotidiens. Tout lui revient à charge : « le petit bonnet rond (…), les drapeaux de toile (…), les gants, les petits chaussons », sans parler des objets de toilette, et des instruments nécessaires à la cuisine. Si l’on ajoute l’essentiel : le lait du sein maternel en vitale nourriture, alors l’ouvrage de Marie c’est avant tout le don de son être à l’ enfant qu’elle reçoit.
L’on aborde alors, en vérité et en poésie, l’admirable mystère de Noël, à travers le rôle qui tient pour les siècles des siècles la Mère de Dieu, la Theotokos : Marie, vierge d’Israël et Immaculée Conception, donnant vie, âme, corps, au Dieu qui l’a créée.
Dialogue ou duel : mais qui sont ces ANGES ?
À dessein nous n’avons évoqué pour l’instant que l’ouvrage de Marie. Mais lorsqu’à chaque moment les anges interviennent, s’invitent entre deux strophes, la signification du poème bascule. Entre les personnages ne s’établit pas de vrai dialogue. Ni question ni réponse : Marie entonne en continu son chant apaisant, les anges reprennent ses paroles presque à l’identique, en en modifiant la signification jusqu’à l’inverser. C’est alors une cantilène étrange à plusieurs voix. La mère expose sobrement le but de son ouvrage, il est fait pour le confort vital de l’enfant à naître : « pour l’emmailloter au sec », le drap de toile ; « pour qu’il ait bien chaud dehors », le manteau de laine, etc. Et la voix des anges venus de nulle part, détourne chaque détail en une finalité de douleur. C’est une sorte de duel sans merci, sans silence, une juxtaposition de propos destinés à donner au langage de Marie un sns illusoire, une sorte de faux sens. Le drap de toile est en réserve pour ensevelir le corps de l’Enfant-Dieu . Le « manteau de laine rouge », pour les anges, se transforme en « robe de sang rouge » pour lui couvrir le corps. La douceur calme de Marie est attaquée de toute part ; elle entend comme une prophétie inévitable, énoncée d’ailleurs au présent, une menace et bien plus peut-être : le bruit des instruments de la Passion. Il subira le supplice de la croix, justement façonnée grâce au hêtre du berceau, jusqu’à la lance qui percera son cœur, au fiel prêt pour l’assassin. La poésie des répliques n’adoucit pas le tragique du poème.La Vierge Marie a peut-être le cœur percé ; elle clôt cependant cette annonce dramatique en constatant que c’est maintenant la fin de l’Avent. Et les anges en une formule très précise ( Comment l’ont-ils dit ? Avec quel accent ? ) s’adressent pour la première fois à Jésus : « Tout est prêt, tu peux venir, Ô Jésus, sauver les hommes. »
L’Avent s’achève. C’est maintenant le temps du salut. Indicible joie que nous sommes invités à vivre en suivant la Vierge Marie du poème ; et pourtant, joie déjà mêlée des douleurs qu’elle éprouvera plus tard, comme nous avec elle, en un autre temps liturgique. Aujourd’hui, place à l’avènement de l’Enfant, objet de tant de soins !
C’EST NOËL
Annick Rousseau
Quelle profondeur théologique sous ces vers si simples, et dans ces mots que Marie adresse à son enfant tout petit, début d’un dialogue entre la mère et le fils qui durera plus de trente ans !
Merci de nous aider à la pressentir, par ce lumineux commentaire qui ouvre des pistes à notre méditation, et va droit à l’essentiel, la maternité divine : Celle qui porte Celui qui porte tout.
J’oserai une réticence, quant au terme de ce splendide poème. Une dernière strophe est attendue par un lecteur chrétien, qui est étrangement absente ; elle évoquerait le don suprême de Marie à son fils, celui de son corps ressuscité. La mort noire et désolée est bien celle de la nature humaine, mais la nature divine en triomphera à Pâques, et l’auteur, à mon sens, ne donne pas son sens ultime à la joie de Noël.