Coup d’œil sur un poème de Marie Noël
Berceuse de la Mère-Dieu
Poème de Marie Rouget, Marie Noël
Mon Dieu qui dormez faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon coeur qui bat,
J’adore en mes mains et berce étonnée
La merveille, ô Dieu, que m’avez donnée.
De fils, ô mon Dieu, je n’en avais pas.
Vierge que je suis, en cet humble état,
Quelle joie en fleur de moi serait née ?
Mais Vous, Tout-Puissant, me l’avez donnée.
De bouche, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d’ici-bas…
Ta bouche de lait vers mon sein tournée,
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.
De main, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las…
Ta main, bouton clos, rose encor gênée,
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.
De chair, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas…
Ta chair au printemps de moi façonnée,
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.
De mort, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour sauver le monde… Ô douleur ! là-bas,
Ta mort d’homme, un soir, noire, abandonnée,
Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée.
AUTOUR DE LA BERCEUSE DE LA MÈRE-DIEU
Le talent poétique de Marie Noël est aussi discret qu’évident, surtout lorsque son cœur et sa plume s’exercent à chanter le mystère de Noël ; joie de la fête pour tous, mais rare mélancolie, pour ceux qui en savent la suite, ceux dont le sens spirituel est plus en éveil. On voudrait bien savoir si notre poétesse musicienne à ses heures a mis elle-même en musique ce poème très connu, ces douces paroles que la mère, tout juste accouchée, murmure à l’oreille de son enfant nouveau-né. Le petit est blotti sur le sein palpitant de sa mère éblouie. Le lien intime qui les unit donne à imaginer la tendresse émouvante enveloppant toutes les maternités du monde, des plus quotidiennes, aux plus raffinées, celles qui jaillissent siècle après siècle de l’imagination des artistes. La « mère et l’enfant », c’est un duo mythique, la pure beauté des commencements.
Mais peu importe en fait l’éventuelle mélodie de ce poème. L’écriture de Marie Noël étant elle-même musicalité, restituant ligne après ligne l’originalité des berceuses, ce genre musical un peu désuet à l’usage des petits-enfants. Tandis que le bébé fragile s’endort, son être est emmailloté d’un rythme lent, de rimes récurrentes — masculines brèves, féminines prolongées — le tempo des décasyllabes accompagnant sûrement le balancement des bras de sa nourrice. Du fond de son enfance, chacun peut se souvenir de quelques bribes d’une berceuse qui habitait ses rêves : « Fais dodo, Colas, mon p’tit frère (…) T’auras du lolo ». Personne n’oserait citer ces comptines populaires si Marie Noël elle-même ne s’était plu à inventer des chansonnettes pour les enfants du patronage qui l’ entouraient joyeusement !
Triptyque du Maître de Moulins ou Triptyque de la Vierge en gloire
Cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation de Moulins
L’ORIGINALITE DE LA BERCEUSE
Sur un fond de grand silence, la première strophe inaugure le double sens des mots les plus simples qui résonneront jusqu’à la fin du poème. Le nom de l’enfant est Dieu ; fragile en sa vie nouvelle, il est simultanément un don de Dieu, quand la berceuse se meut en prière de gratitude. Le nom de la mère est Marie, la Vierge de l’Évangile qui normalement ne pouvait enfanter.
Dès lors la poésie décrit de multiples allers-retours entre la terre et le ciel. Elle interpelle deux personnes, l’une est vouvoyée, l’autre tutoyée ; l’une est l’objet d’un audacieux échange, l’autre d’une adoration sans mélange. On reconnaît en filigrane la manière qu’a Marie Noël d’ utiliser le langage à Dieu, chrétien certes, mais toujours assorti de propos que l’Évangile ne comporte pas. Ici, l’enfant de Dieu est donné en cadeau à la mère ; il est vraiment le fils de cette femme. Mais comme en contre-don elle donne à Dieu un corps, ce dont Il est en manque. Donner à Dieu ce qui lui fait défaut à Lui, le Tout-Puissant ! D’où l’enchaînement singulier reliant toutes les parties du corps qui prennent sens peu à peu et façonnent (strophes 4, 5,6) sans fioriture le visage et le devenir de Dieu nouveau-né.
De bouche, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas (…)
De mains (…)
De chair (…)
Ici se joue le sens profond de la berceuse.
– La bouche du petit est bien l’organe de l’alimentation qui permet la vie, mais d’abord la possibilité de la parole qui enseigne le vrai.
– Les mains sont l’instrument du contact qui guérit les malades, « leurs pauvres corps las », une fois ouvertes pour agir sur le monde.
– La chair permettra de partager le pain du repas ; le repas qui sera cette même chair.
Il est bon de repérer entre les lignes la signification simple, mais double, des parties du corps, que la Vierge a données en complément à l’être de Dieu, certes, mais pour habiter le monde des hommes. L’Incarnation. Habiter, pourtant, est un terme insuffisant : toute vie donnée est un jour vouée à la mort. C’est le prix du salut par le don de la chair sur la Croix qui est dévoilé dans la dernière strophe. Et c’est encore la femme, cette fois mère de Dieu, qui est responsable de la mort donnée en enfantant la vie.
« Ô douleur ! là-bas,
Ta mort d’homme, un soir, noire, abandonnée,
Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée. »
De la plus merveilleuse des joies,
Du plus beau cadeau de Dieu,
Du don le plus grand de la Vierge surgit la plus amère des douleurs.
C’est Noël ! L’enfant de la berceuse est bien le Sauveur qui nous est donné…
PS. Si l’on ne peut entendre le message final de Marie Noël, il faut savoir qu’elle a composé de merveilleux contes de Noël, pleins d’humour et de douceur : la nuit, où tout s’inverse, la Sainte-Famille redescend sur terre à la recherche de ses souvenirs de la crèche ; le chameau passe gaillardement par le trou de l’aiguille ; les pauvres sont choisis pour s’incliner devant la crèche ; le chien prend la parole… Encore une fois le talent de l’auteur est un enchantement.
Annick Rousseau
Quelle profondeur théologique sous ces vers si simples, et dans ces mots que Marie adresse à son enfant tout petit, début d’un dialogue entre la mère et le fils qui durera plus de trente ans !
Merci de nous aider à la pressentir, par ce lumineux commentaire qui ouvre des pistes à notre méditation, et va droit à l’essentiel, la maternité divine : Celle qui porte Celui qui porte tout.
J’oserai une réticence, quant au terme de ce splendide poème. Une dernière strophe est attendue par un lecteur chrétien, qui est étrangement absente ; elle évoquerait le don suprême de Marie à son fils, celui de son corps ressuscité. La mort noire et désolée est bien celle de la nature humaine, mais la nature divine en triomphera à Pâques, et l’auteur, à mon sens, ne donne pas son sens ultime à la joie de Noël.
Merci pour ce beau coup d’oeil sur la profondeur de la simplicité de Marie… NOEL !
On aimerait tellement l’entendre cette berceuse, ce rythme doux de la rédemption en 8 temps et ce balancement des bras de l’incarnation du vous lointain au tu prochain…
Bien chère Annick,
Merci de stimuler mon goût de la poésie. J’en ai délaissé la lecture depuis plusieurs mois. La mort de Christian Bobin a suscité un sursaut dans mon apathie que tu viens confirmer par ton message. Merci.
Plus qu’un coup d’œil ton commentaires est un témoignage émouvant et puissant, à l’image de la Berceuse et de son auteur. Merci de venir me remuer.
Je ne connaissais pas cette auteure Marie Noel. Je la découvre.. J’ai lu avec ferveur ce poème. Comme vous l’avez écrit l’Enfant de la berceuse est bien le Sauveur qui nous est donné..