Coup d’oeil sur… sur l’enfance
Écouter, imaginer, grandir.
On nous a volé nos contes de fées, nos histoires de gosses, bref, notre enfance. Qui ? Internet bien sûr, qui a redessiné de manière aléatoire, travesti jusqu’à la censure, les Grimm, Perrault et Andersen que Walt Disney, essentiellement, avait gravé en nous depuis les années 50.
Même « Martine », sur la toile, Martine, l’héroïne favorite des 4 à 8 ans, a du mal à garder son identité pourtant sans complication ni suspense. En numérique, elle parle, on lui répond. Lettres vertes, lettres bleues. L’enfant doit simultanément voir le texte, écouter les paroles surgies d’une voix sans chaleur, comprendre l’histoire. Il écoute mal, imagine peu, stagne dans son jeune âge.
« Alice au pays des merveilles », la merveille de Lewis Carroll n’a plus ses cheveux blonds, lissés et bien coiffés. Ses aventures sont toujours codées et fascinantes, mais trop complexes, trop riches sur l’écran pour qu’un enfant s’y retrouve.
En tout cas, notre passé est méconnaissable. On voit double : le personnage de nos jeudis de liberté, et son homonyme déconcertant qui avive en nous le manque de nos supports imaginaires.
L’identité du graphisme comptait naguère beaucoup : Un support de papier inamovible, des feuillets à retrouver chaque soir ; par chance, souvent, une voix chaleureuse qui aidait à passer de la frontière du crépuscule jusqu’au soir profond du sommeil. Être grand, c’est aussi maîtriser ce passage là.
Réflexion I
S’il n’y avait que cela, ce serait moindre mal ; une perte, bien sûr, mais que viendraient compenser d’autres histoires, d’autres personnages relookés ou inventés. Une route nouvelle à continuer avec nos enfants petits et nos petits-enfants. Mais il y a bien plus grave que ces constatations préliminaires. Les histoires de nos enfances avaient un sens, une structure, une morale plus ou moins lisible, véhiculée par les dernières paroles du conte, tels les romans initiatiques savamment orientés. Or, la littérature enfantine que l’on écoutait comme l’enfant caresse son lapin en peluche, ou son inséparable bout de chiffon mâchonné, a changé subrepticement de sens au fil des années. L’apparence y est. Le contenu dessine une autre « littérature doudou » (pour employer un néologisme parlant), souvent affaiblie, une pâture pour les yeux, mais peu pour l’imagination en quête d’expériences puissantes.
Quelques exemples : le « Petit Chaperon Rouge », personnage emblématique s’il en est, subit sans cesse des transformations au fil des réécritures qui le remodèlent ! Ici, (par exemple) la grand-mère se cache dans un placard ; des chasseurs passant par là sauvent l’enfant du loup, avant même qu’elle n’ait eu peur… On décout le ventre du loup, et tout rentre dans l’ordre. De tels contes ne suscitent plus guère l’émotion, les peurs, les désirs, l’amour non plus.
Soit encore “Raiponce” sans doute un des plus beaux textes des frères Grimm : L’héroïne aux cheveux d’or est gardée par une sorcière et délivrée par un prince, thème riche s’il en fut. Désormais, en trois clics, on invite l’enfant à cueillir des fleurs, à faire un potage pour le Prince (venu d’où ?). Peut-être s’aiment-ils comme aujourd’hui ? Nul ne le sait, car en guise de « moralité » de l’histoire, les deux héros jouent mollement une partie de ping pong. Pour finir sur ce point, quand il y a des enfants « symboliques » en nombre intolérable (exemple : sept biquets près d’une chèvre) un relecteur, loin d’être innocent, en laisse subsister trois, sans doute chiffre maximum qu’un enfant d’aujourd’hui peut assimiler. (enfin, paraît-il). Inutile de dire que l’idéal habituel de ces histoires lointaines « ils se marièrent et eurent de nombreux enfants et vécurent très longtemps heureux » s’est effondré comme un château de cartes obsolètes.
Réflexion II
Un livre, trop oublié aujourd’hui, de Bruno Bettelheim avait magistralement analysé la « psychanalyse des contes de fées » et leur portée décisive dans la structuration de la personnalité enfantine. Bettelheim, habitué aux enfants perturbés avait longuement insisté sur la signification des obstacles (buissons épineux, peur de la nuit, sang, ogre) dans le déroulement des contes de fées. Symboliquement, ils indiquent, car il faut les surmonter, les difficultés et les blessure qu’enfants, adolescents, adultes nous rencontrons. Et si la morale de l’histoire, pour le psychanalyste, est positive, si il y a amour, bonheur, réussite, à travers cette sagesse immémoriale, la personnalité prend, on reprend confiance en elle. Confiance ! Là est le mot central autour duquel nos espérances peuvent se rebâtir.
En forçant un peu à partir de là, on pourrait imaginer un Petit Ours Brun câlin, qui berce toute une vie de ses caprices et de sa puérilité… S’il nous arrivait d’oublier que les histoires racontées ont parfois des fins tragiques, mortifères, démoralisantes comme certaines situations de l’existence !
Aller plus loin
Un simple coup d’oeil sur l’imaginaire « folklorique » de la petite enfance peut nous fournir sans doute quelques clés ,mais n’épuise pas la compréhension qu’un adulte peut en avoir. Les parents chrétiens le savent pertinemment, qui très tôt dans la soirée placent la prière, ou la vie des saints, avant les histoires réclamées qui n’en finissent pas. Pas si facile à 2,3,4 ans, de plonger dans le sommeil. Avec le recul des années, on a pu reconnaître la force inégalée des COMMENCEMENTS dans la structuration de la personnalité de nos enfants. Les contes enrichissent l’imaginaire, mais c’est subconscient. Les mots des prières ordinaires, la vie de Jésus-enfant ou le silence que n’habite pas le prince charmant dialoguant avec sa princesse, tout cela se grave dans l’enfance, élabore un schéma intérieur ou se mêlent la vraie joie, la tristesse, tout un lot d’émotions spirituelles. Il faut aller plus loin que nos bribes imaginaires, mises à mal par l’Internet. Et garder quelque chose de l’enfance en nous, pour pouvoir essayer de communiquer une réalité qui permet à notre progéniture d’élaborer une intériorité solide, capable d’aborder les situations mêlées de la simple existence.
Annick Rousseau